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Les outils de la gouvernance de la donnée, parent pauvre de la Data

Presse

Avez-vous déjà eu affaire à un fournisseur d’accès internet qui « oublie malencontreusement » de vous tenir informé d’une augmentation du prix de votre abonnement ? A une newsletter qui continue de vous être envoyée malgré vos multiples tentatives de désabonnement ? A un produit reçu dans votre boîte aux lettres qui n’a rien à voir avec la fiche produit Amazon ?

Si votre premier réflexe a été de présumer qu’il y a eu tromperie ou malveillance de la part du fournisseur, la réalité est bien souvent plus simple : il s’agit d’une erreur. Ces problèmes adviennent généralement dans le cadre d’une gouvernance de la donnée déficiente, voire inexistante : un processus de mise à jour de base de données clients défaillant ou contourné par les équipes car jugé trop contraignant, un changement de produit non reporté sur la boutique en ligne, des identifiants produits construits à partir de caractéristiques changeantes, etc.

Cependant, en tant que consommateur, il vous importe peu de connaître la source de cette erreur : le mal est fait, vous retenez une expérience client négative et cherchez un nouveau FAI.

Pour éviter de tels écueil, la gouvernance des données est clé. Souvent délaissée, elle est pourtant primordiale pour le bon déroulement de tout projet impliquant des données, et ce dès la phase de cadrage. Que l’on se questionne sur l’organisation des équipes, la refonte des traitements de données, l’instauration d’une culture d’entreprise Data, la pérennisation des bonnes pratiques ou le niveau de qualité de données requis, la réponse est : gouvernance.

La gouvernance de la donnée, qu’est-ce que c’est ?

La gouvernance est en quelque sorte l’aspect stratégique de la gestion de données, un chef d’orchestre posant un cadre d’utilisation des données visant à maximiser leur potentiel sur la durée. Elle comprend la définition de responsabilités, de logiciels, de règles, de définitions communes, de processus et de contrôles de la donnée. Elle n’est pas tant entre les mains de l’IT qu’entre celles des métiers. En effet, une gouvernance bien maîtrisée n’est pas un annuaire de règles visant à satisfaire les lubies du service informatique, mais un cadre pragmatique permettant d’apporter de la valeur aux métiers en assurant le bon déroulement des opérations.

Concrètement, la gouvernance permet d’atteindre ses objectifs business en maîtrisant sa donnée à travers trois grands axes :

 

  • Le partage d’un ensemble de définitions et concepts à l’échelle de l’organisation pour des données intelligibles par tous
  • La compréhension, le suivi, et la maîtrise des évolutions des usages de la donnée
  • La définition d’actions, de règles et de contrôles de la donnée destinés à évoluer en même temps que les problématiques Data et la législation

 

A quels problèmes répond la gouvernance de la donnée ?

Les exemples en introduction évoquent une satisfaction client limitée d’une manière qui peut porter à sourire. Néanmoins, le sourire s’efface lorsque les problèmes se multiplient et s’intensifient, entrainant des risques stratégiques, opérationnels, d’image, et légaux. Vous l’aurez compris, une mauvaise gouvernance de ses données peut engendrer des irritants variés, se retrouvant généralement dans une des trois catégories suivantes :

 

  • Un manque de documentation menant à des interprétations diverses de la donnée et une connaissance lacunaire des processus Data
  • Des rôles et responsabilités manquant de clarté, donnant lieu à des processus peu fluides et non maîtrisés
  • Une qualité, conformité, et sécurité de données insuffisante, entraînant des ralentissements dans le day-to-day de l’entreprise et des erreurs dans les informations partagées

 

Comment la gouvernance permet-elle de traiter ces challenges ?

La gouvernance, déployée sur les données critiques au bon fonctionnement de l’organisation, permet d’anticiper les problématiques rencontrées en pilotant les usages de la donnée du début à la fin d'un projet. Cela passe par des outils et éléments de méthodologie. Je vous propose de nous pencher sur quelques-uns d’entre eux.

Diagnostic de maturité :

Première étape d’une démarche de gouvernance, le diagnostic visant à identifier les écarts entre la stratégie de l’entreprise et l'existant. Lors d’échanges avec de multiples acteurs de la donnée, le niveau de maturité Data de l’organisation est évalué selon plusieurs axes : technologique, organisationnel, et de compétences. C’est l’occasion d’identifier les processus de contrôle, règles, rôles, responsabilités, et instances de gouvernance en place, ainsi que le niveau de connaissance qu’en ont les collaborateurs. On se penche aussi sur la stratégie d’exploitation des données, comprenant la gestion des accès et partages, les cas d’usages existants et les outils associés – plus ou moins homogènes selon la variété des usages de la donnée –, et le niveau de fiabilité des KPIs construits. Trois problématiques clés souvent identifiés sont : le manque de qualité des données, une confiance limitée des collaborateurs dans les données, et une information peu fluide qui mène à de nombreuses confusions.

Le diagnostic permet d’identifier les axes d’amélioration à prioriser et les points forts sur lesquels capitaliser. C’est aussi l’occasion de mettre le doigt sur LA donnée qui pose problème, et sur laquelle il est urgent de déployer une gouvernance. Bien souvent, il s’agira d’une donnée produit ou client dont le manque de gouvernance grève les performances de l’entreprise.

 

Glossaire Métier :

Outil clé pour la communication entre les équipes, le glossaire pose des définitions métiers partagées par tous les collaborateurs. Cette base commune permet d’éviter les malentendus, de rétablir la confiance des métiers dans la donnée, et donc de limiter les ralentissements des opérations dus à la nécessité de contrôler sa qualité. Une fois lié à son pendant IT qu’est le dictionnaire de données, le glossaire facilite aussi les échanges entre métiers et IT.

Par exemple, la mise en place d’un glossaire métier permet souvent de se rendre compte que des indicateurs portant le même nom dans plusieurs départements sont en réalité calculés de différentes manières. Evidemment, cela pose des difficultés lors de leur consolidation.

 

Modèle opérationnel de gouvernance data :

Le modèle opérationnel représente l’organisation cible d’une manière claire afin de faciliter la prise de décision et la fluidité de l’information. Associé à un RACI et des fiches de poste, le modèle prend en compte les différents rôles et responsabilités Data (comme les Data owners, stewards, custodians, protection officer, etc.), ainsi que leurs interactions. Il favorise la compréhension des rôles à l’échelle des collaborateurs, mais aussi à l’échelle des départements et entités d’un groupe.

Un modèle opérationnel peut être centralisé, répliqué, ou fédéré, donnant plus ou moins de libertés aux départements composant une organisation. Chaque modèle a ses forces et faiblesses, résidants dans un compromis entre la cohérence globale de la gouvernance et le niveau de flexibilité laissé aux départements pour s’adapter aux particularités propres à chacun.

 

Instances de gouvernance :

De telles instances assurent une gouvernance pérenne capable de traiter les nouveaux défis qui se présentent sur la durée, plutôt qu’en one shot. Pour cela, il faut en définir : les participants – principalement des métiers car ce sont les propriétaires de la donnée –, leurs rôles, la fréquence des instances, et le périmètre de données à traiter. Ces instances sont l’occasion de suivre les usages de la donnée et de tenir les processus et définitions des concepts métiers à jour. Elles font remonter les irritants rencontrés par les métiers, les priorisent et les traitent en collaboration avec l’IT.

En effet, bien que menées par les métiers, ces instances n’excluent pas pour autant l’IT. Son rôle est notamment clé pour étudier la faisabilité et le coût des solutions proposées.

Une problématique revenant régulièrement dans les comités de gouvernance est celle du manque de cohérence des données à travers les différents systèmes de l’organisation. Travailler de pair avec l’IT sur ce sujet favorise le traitement des causes racines plutôt que le lancement de coûteuses initiatives de remédiation a posteriori.

 

Cycle de vie :

Représentation du parcours de la donnée de son entrée jusqu’à sa sortie du SI, le cycle de vie fournit une vision claire des processus traversés par la donnée et des acteurs interagissant avec elle du début à la fin de son parcours (à travers son ingestion, stockage, partage, transformation, exploration, visualisation, archivage, et suppression). Cet outil permet dans un premier temps de mapper les usages de la donnée, puis d’identifier l’acteur le plus à même d’en être le propriétaire, et le niveau de qualité minimal requis. Entre les mains d’un comité de gouvernance, il devient ensuite un moyen de repérer les goulots d’étranglement, les processus et les états de la donnée générant le plus d’irritants.

Le cycle de vie endosse aussi un rôle de sensibilisation aux enjeux de la donnée lorsqu’il est partagé avec les collaborateurs : il clarifie l’identité des acteurs qui interagissent avec cette donnée avant et après eux, en en spécifiant le contexte (production, consommation, visualisation, validation, etc.).

 

Au bout du compte, que retient-on de la gouvernance ?

La gouvernance, souvent mise en place après coup, est en réalité un élément clé de la transformation, mais aussi du quotidien d’une organisation. Gouverner ses données permet de les comprendre, piloter leurs usages, et les contrôler.

Il ne s’agit pas d’un outil au service de l’IT, mais bien au service des métiers : une bonne gouvernance se déploie de manière pragmatique en ayant identifié les données clés au bon fonctionnement de l’organisation. Concrètement, elle fait gagner la donnée en qualité et sécurité, augmente la confiance des collaborateurs dans les données qu’ils utilisent au quotidien, et rend les processus plus efficaces. Sur le long terme, elle permet de décliner ses ambitions stratégiques sur son patrimoine de données.

Dans cet article, nous n’avons fait qu’effleurer la surface du sujet et des outils de gouvernance à disposition des entreprises : il existe de nombreux logiciels visant à faciliter l’exploration des données, la gestion du cycle de vie, des accès, etc. La gouvernance comprend aussi un volet acculturation qui n’est pas sans importance pour convaincre les collaborateurs du bienfondé du changement. En effet, ce dernier risque souvent d’être perçu comme gadget, la donnée étant un concept somme toute assez abstrait. Par exemple, les membres d’un comité de gouvernance sont souvent de bon porte-parole auprès des équipes, chargés de récupérer leurs retours, tout en partageant les bonnes pratiques. Mais nous en parlerons une autre fois.

 

Christian Lecret, Consultant stratégie et transformation digitale